VOILA...C'EST FINI
«Voilà...c'est fini» la chanson de Jean Louis Aubert pourrait être utilisée en bande son du billet qui va suivre. Voilà c'est fini … le « Panem et circenses » (du pain et des jeux) Paris 2024 a tenu toutes ses promesses en nous faisant oublier les horreurs de la guerre en Ukraine et les dernières bombes sur l'école de Gaza. Il faut reconnaître que Tony Estanguet et ses équipes ont réussi le challenge des jeux olympiques Paris 2024 en les transformant en clichés instagrammables pour que les réseaux sociaux les amplifient tout autour de la planète et que les bénévoles semant leur bienveillance et que la sécurité veillant avec courtoisie sur les spectateurs et visiteurs allaient faire oublier la mauvaise image du parisien râleur. La cérémonie d'ouverture avec ses maladresses restera gravée dans les mémoires pour longtemps alors que celle de la clôture fut un peu trop cérébrale et longue à mon goût. Bravo et voilà...c'est fini mais les 15000 SDF et migrants déplacés pour ne pas faire tâche dans le décor devront encore attendre la fin des jeux Para olympiques pour retrouver les trottoirs et les squats de Paname accueillis par l'humeur maussade des autochtones et la matraque policière moins souriante. Mais ce 14 août, je recevais un appel de mon ami Luc qui me suppliait de le rejoindre seul dans sa villa et l'urgence dans sa voix ne présageait rien de bon. Devant le portail de la villa «Eguzkia» une étrange atmosphère flottait dans l'air comme si l'esprit quartier du lieu s'était évaporé pour laisser la place au silence des voisins dans leurs nouvelles maisons cossues. La peinture de la façade se détachait comme les écailles d'un mule et le vert des bandeaux de la toiture palissait d'agonie par son abandon à la rudesse des saisons. Les herbes folles tentaient de dévorer la demeure et les rosiers de Louise avaient rendu l'âme depuis un bon moment laissant place au ronces gourmandes. Luc m'attendait tranquillement assis sous la marquise au bord de la plage. En septembre 2020 j'avais écrit ce billet:
Le mardi 18 août 2020, Louise vient de partir. C'est Corinne son aide à domicile qui l'a découvert au petit matin dans son lit. Sur son visage apaisé qui dépassait de la couette d'été, un rose délavé courait sur ses lèvres comme l'ultime coquetterie avant de rejoindre l'au delà. Les volets et la fenêtre étaient restés ouverts sûrement pour que les senteurs d'iode et de pins lui livrent de la nostalgie pour que son âme s'envole retrouver Jean son unique amour. Luc m'a appelé pour me dire que sa mère venait de mourir et il m'a demandé si je n'avais pas oublié la promesse. Comment aurais je pu oublier une telle promesse? Jeannot le père de Luc avait appris le métier de l'ostréiculture avec mon grand père puis avait repris ses parcs à sa retraite. Un lien fort s'était installé entre nous même si nous nous fréquentions peu. Adolescent je partais souvent faire la marée avec eux pendant les coups de bourre ainsi j'avais du cash pour faire la fête le week-end. Luc ne voulait pas reprendre la suite de son père. Il rêvait de voyages et d'une vie plus confortable. Avant de partir à Toulouse pour ses études supérieures, Jeannot tomba gravement malade. Les gauloises sans filtre, celles qui nous faisaient tourner la tête avant d'embarquer n'avaient pas été très gentilles avec lui. Il crachait du sang rempli de galette noire comme celle de l'Amoco Cadix alors nous prenions la barre sans un mot pour attendre de longues minutes que les quintes de toux lui donnent un répit. Assis sur le banc dans la cabine, ses yeux vitreux surveillaient si nous remontions bien tous les casiers d’huîtres et il ne fallait pas traîner car la marée remontait vite. La Tache était dure mais pas question de se plaindre. Avec Luc nous nous endormions épaule contre épaule jusqu'au retour au port. Il est parti aux premiers jours du printemps suivant, tout pourrit de l'intérieur. La morphine avait donné un semblant de vivant à Louise en camouflant sa lente agonie mais le cœur avait eu la noblesse d'écourter sa déchéance. Louise était une taiseuse qui ne parlait qu'avec ses yeux mais cela suffisait largement pour se faire comprendre. Aimante envers les siens, j'aimais voir son petit sourire quand elle regardait nos têtes le lendemain de bringues endiablées et qu'il fallait quand même aller sur l'eau sans faire attendre Jeannot. Nous sommes parti jusqu'au chenal du Courbey devant son ancien parc à huîtres et c'était la première fois qu'elle mettait les pieds sur un bateau préférant rester à la cabane pour trier les huîtres et les emballer en écoutant le poste de radio puis elle repartait à son jardin pour soigner ses rosiers et préparer le repas. En fait, elle ne savait pas nager et elle avait le mal de mer. Quand les cendres de Jeannot se sont dispersés dans les airs et que les fleurs d’hibiscus jetées par dessus bord l'ont accompagné dans la profondeur des courants, Louise s'était approchée pour me dire:
«-La prochaine fois, je voudrais que tu sois avec Luc pour jeter les miennes au même endroit. Tu me le promets?
-Oui...je vous le promets.»
Alors 36 ans plus tard je me retrouve au portail de la villa «Eguzkia» à admirer les deux immenses pins qui comme deux cerbères veillent sur la maison et le tapis d'aiguilles sur la toiture qui amortit les pignes tombantes afin que les écureuils les remontent facilement au nid. A leurs pieds les arbousiers ont pris leur aise et les merles s'engraissent malgré le chat qui veille. Cette villa typique basque et son vert de Saint jean de luz est une des dernières rescapées dans ce secteur tant convoité de la presqu'île du Cap Ferret car elle est en première ligne avec une vue imprenable sur l’île aux oiseaux, Arcachon et la dune du Pilat. Les funérailles étaient à peine finies que les charognards pointaient le bout de leur nez. Les cartes de visite des agents immobiliers s'empilaient dans la boite aux lettres et un jeune «gourmandasse» sapé comme un milord avait osé pénétrer sur la propriété pour proposer un chèque avec six zéro mais il fut raccompagner manu militari à son cabriolet de luxe. Luc et sa famille revenaient tous les ans autour du15 août pour rendre visite à sa mère et ses deux filles avaient totalement compris dans le regard de leur grand mère que cette maison était le livre de leurs racines ou le mot fin ne doit jamais apparaître. La villa est en retrait d'une vingtaine de mètres du front de mer pour que le jardin de Louise puisse s'exprimer pleinement avec sa rangée de rosiers bien taillés, les yuccas baillant aux corneilles, le petit coin potager ou les dernières tomates mettent du rouge sur le vert dans le rang de haricots et les lauriers blancs et roses devenus monstrueux offrent un terrain de jeu aux moineaux qui s'y réfugient. Au bout du parapet ou le petit portail propose un escalier pour rejoindre la plage, Luc avait construit une belle marquise en bois qui faisait de l'ombre à un banc ou Louise pouvait rester des heures entières à contempler le panorama. Nous avions décidé de passer la soirée rien que tous les deux pour que le lendemain matin nous puissions tenir notre promesse. En cette fin de journée estivale quand le soleil commençait à décliner laissant la moiteur s'installer, nous regardions l'agitation bruyante des bateaux qui rentraient aux ports et ceux qui partaient pour le coucher du soleil. Que de monde! Pas les champs Élysée, mais pas loin. Nous étions bien sur la terrasse, sous la vigne vierge à siroter un bon rosé bien frais accompagné de tapas, regardant de vieilles photos jaunies que Luc avait retrouvé en faisant le tri dont une ou nous prenions la pose fièrement avec un maigre de 10 kilos et Jeannot qui souriait en nous enserrant avec ses grosses paluches. En me lisant une lettre de Louise à Jean pendant son service militaire ou les mots doux et bienveillants s'égrainaient dans une écriture fluide, sans ratures et sans fautes d'orthographes, le petit portail s'ouvrit et une dame boudinée dans une robe blanche entra dans le jardin et sans la moindre gêne déféqua expressément en ayant la délicatesse de poser le kleenex dessus comme la cerise sur le gâteau avant de disparaître ni vu ni connu. Nous nous sommes regardé totalement incrédules avant de partir dans un fou rire interminable.
«- Nom de dieu j'y crois pas. C'est du jamais vu... disait Luc
-Et encore... elle n'a même pas dit merci.»
Nous filions vers la plage pour essayer de retrouver cette personne indélicate mais il ne restait plus que deux couples qui pique-niquaient en bas de l'escalier. Sur un grand drap de plage, les deux jeunes filles trentenaires sirotaient le vin blanc au goulot. Elles avaient un peu trop pris le soleil et avec l'alcool, les yeux étaient en déjà en plein phare pendant que leurs gars ouvraient les canettes de bières au briquet au milieu de sandwichs triangles et des emballages de la supérette.
«-Bonsoir, auriez vous une dame en robe blanche descendre de cet escalier?
-Oui elle est partie par la bas» nous répondit laconiquement une fille.
Nous reprenions nos aises après cet intermède quelque peu surréaliste et un peu plus tard quand les lumières d'Arcachon commençaient à scintiller, que l'obscurité remplaçait l'orange du couchant sur la dune que le feu d'artifice pourtant annulé à cause du covid 19 débutait dans les airs, qu'un sac de supérette atterrissait dans le laurier rose en ayant pris soins de libérer les plastiques multicolores pour joncher la pelouse. Puis ce fut un ballet de bouteilles virevoltant les unes après les autres pour finir leur course au milieu du jardin. Il ne manquait plus que le bouquet final. Aussi sec nous courions vers la plage mais les zigotos avaient pris de l'avance. Ils nous insultaient avec de gros doigts d'honneur en guise de salut et s'apprêtaient à grimper dans une voiture. Et quelle ne fut pas notre surprise de voir que la dame à la robe blanche était au volant. Elle klaxonna deux fois avant de démarrer en trombe.
Le lendemain la barque filait vers le Courbey sur une mer d'huile et quelques nuages inoffensifs donnaient un joli contraste aux couleurs. L'urne était coincée à la proue impatiente de se libérer. C'est avec beaucoup d'émotions mais tout en retenu que les cendres se sont dispersées rejoints par les plus belles roses de Louise. La barque s'est mise à dériver lentement, nous éloignant doucement comme pour ne pas déranger les retrouvailles entre Jean et Louise quand sorti de nulle part, un scooter des mers fracassait les flots, traversant les cendres en nous faisant presque chavirer. Alors nous avons ri.. mais ri jusqu'à en pleurer.
«-Quel monde de branques!!. Les choses ont bien changées dans le coin et le respect n'existe plus. Me disait Luc
-Ce n'est pas grave… la promesse est tenue et tes parents sont de nouveau ensemble. Le reste importe peu.»
Les mots me semblaient inutiles car je ressentais l'émotion de celui qui reste sur le quai de gare quand le train démarre avec son amour dedans. Je savais très bien pourquoi il m'avait fait venir et mes sentiments en étaient bouleversés. En me tendant une coupe de champagne, nous nous sommes regardés dans les yeux puis nous nous sommes tus pour laisser divaguer nos esprits sur le Sunset qui enchantait le panorama.
«- Tu sais on m'a proposé une somme à sept zéro… me disait Luc.
- Chut je me fous de savoir quoi que ce soit. Trinquons ensemble une dernière fois et savourons cet instant présent. Une page se tourne mais la vie continue. Les souvenirs que l'on laisse derrière nous , nous appartiennent et personne ne pourra nous les prendre. Disons simplement, Voilà… c'est fini.»