POISON D'AVRIL
Avant j'avais un jardin. Un jardin extraordinaire que même la chanson de Trenet s'y promenait dedans. Il suffisait d'aller au portail pour voir si le vert avait remplacé le bleu de la mer et que mon grand-père prenne ma petite main dans la sienne afin de partir explorer cet éden à la recherche de trésors. L'eau quittait le sable fin de la plage en s'enfuyant par les larges esteys qui fendaient les crassats imposants pour que les terres apparaissent comme par magie. Les mouettes commençaient leur festin de petites crevettes en
fouillant dans les flaques avant de se retrouver en bande pour la digestion sur le grand banc de sable.Un cormoran séchait ses ailes sur une balise pour être opérationnel quand la marée montante lui livrera son repas. Je peux encore ressentir le bonheur de ces instants là ou le temps semblait être suspendu ou le silence jouait avec le vent ou les tons de vert s'égaraient à perte de vue comme un interminable fairway. J'apprenais à gambader sur la vase avec de lourds patins de bois au pieds et ce n'était pas facile. J'apprenais à pêcher la palourde en repérant les deux bivalves au milieu d'une multitude de trous. J'apprenais à pêcher le carrelet dans le sable de l'estey au tournant de la marée et à manier la foëne pour cogner les anguilles dans les trous des flaques. J'apprenais à pêcher la seiche à la turlutte dans les zostères du grand chenal de la jetée que même un vol de cygnes n'arrivait pas à me perturber. J'apprenais à poser des cordeaux pour choper les gros mules qui flânaient dans les basses eaux.
Quand j'ai pris la main de mes enfants il ne restait plus que quelques taches de vert. Les herbiers tentaient de résister à une longue agonie qui avait fait fuir les anguilles et les seiches mais il restait encore quelques maigres palourdes et des bigorneaux pour les mettre en joie. Ce fut la dernière fois que l'on faisait remonter les couteaux à la surface avec du gros sel.
Aujourd'hui, il n'y a plus rien. Un extraordinaire no man's land qu'aucune chanson ne voudrait s'y promener dedans. Difficile de voir de la poésie dans les tons ocres vaseux mais pourtant ils essayent de vous en vendre. Certains arrivent peut être à y déceler une beauté moi je ne ressens qu'une profonde tristesse.
AMEN