LE PRINTEMPS DES POETES
C’est le printemps des poètes. Partout des affiches fleurissent dans nos villes nous demandant de recevoir de la poésie dans notre cervelle. La tache s’annonce rude pour ceux qui scotchent TF1 et qui bavent sur Sarkosy. Il faut bien reconnaître que Hollande n’en est pas encore à faire des rimes. La Poésie n’est accessible qu’ à ceux qui se donne les moyens de l’apercevoir. Si Bassar al-assad commande de la musique sur I tunes, je doute qu’il écoute « ne me quittes pas » de Brel au casque. Les ouvriers d’Arcelor Mittal ne doivent pas chantonner « Merci Patron » des Charlots.
Le thème de ce printemps est « l’enfance ». Alors laissez moi vous conter des souvenirs de mon enfance. Je sais bien que ceux qui viennent d’arriver sur le bassin d’Arcachon ne pourront pas comprendre exactement la teneur de mes mots mais j’espère qu’ils arriveront à trouver une once de poésie dans mes dires.
Été 1974: Les foënes étaient de sortie. Je regardais mon grand père affuter méticuleusement les harpons. Le geste précis, limpide rendant les pics tranchant comme des lames de rasoirs. Il se réservait celle à carrelet et sole qu’il bichonnait avec soin(sans pics) Notre terrain de pêche s’étendait du port du Bétey à la jetée d'Andernos les bains. Sur cet espace il y avait assez de flaques à herbiers ou les anguilles venaient se réfugier pour laisser passer la marée basse et les esteys alimentant les plages étaient très larges et très sablonneux. Je mettais les patins aux pieds pour ne pas m’enfoncer dans la vase et partait explorer le moindre trou d’eau. Arrivé devant la flaque, le but était de trouver les trous ou les anguilles venaient se réfugier. Deux ou trois trous du même diamètre en triangle. D’un geste vif et précis on enfonçait la foëne dans le trou choisi puis il fallait attendre que l’eau s’éclaircisse pour voir les bulles d’air s’échapper d’un autre trou indiquant la fuite de l’anguille. Je comptais jusqu’à trois avant d’ enfoncer puissamment ma foëne et à l’impact je savais si j’avais réussi ma prise. Je pouvais alors enfiler l’anguille sur un cerceau en fil de fer tenu par une vieille corde autour de ma taille que je laissais traîner derrière moi. Je pouvais ramener une vingtaine d’anguilles de belles tailles par marée. Marcher sur les terre est un exercice fatiguant même étant jeune. Quand mon cerceau était bien rempli, je rejoignais mon grand-père dans l’estey. Ce dernier ne se fatiguait pas trop. Il ne bougeait pas. Il restait droit comme un i laissant les flux du tournant lui lécher les jambes. Début montant, les carrelets et les soles remontaient les chenaux pour se nourrir cherchant une cachette pour mieux traquer leur proie. Rien de mieux pour attendre que d’aller se glisser sous les pieds de mon grand-père. D’une fulgurance, sa foëne longeait sa jambe jusqu’à l’extrémité de son pied pour piquer ce joli poisson plat. Il n’avait plus qu’à le déposer dans son sac en jute qui pendait à son cou. Je n’ai jamais réussi à avoir son coup de main. Il était sidérant. Toujours cool. Jamais un geste pour rien. Pourtant le risque était maximum car à quelques millimètres prés , le pied pouvait à tout moment faire office de sole. Il était trop fort pour moi. Avant d’attendre le tournant de la marée, nous allions remplir nos paniers de palourdes bigorneaux et moules. Rien qu’en une demi heure la messe était dite. A la fin de l’été, il m’amenait au bout de la jetée pêcher les casserons à la turlutte. La turlutte est un leurre de rouget qu’il suffit de jeter et de ramener doucement. Quand on sent une accroche, on ferre vivement pour piquer puis on ramène vigoureusement vers le bord. Deux heures avant le fin descendant et deux heures de montant pour remplir notre seau.
Aujourd’hui, on ne peut plus aller sur les terres car les herbiers et les flaques n’existent plus. Les patins restent collés dans une soupe visqueuse nauséabonde. J’essaye de montrer à mes enfants comment pêcher les palourdes. La plus part du temps, ils les trouvent échouées dans le sable ou agonisant sous les algues vertes. Ils arrivent quand même à en trouver quelques unes. Plus la peine d’aller au bout de la jetée, les herbiers ont disparu emportant les seiches, les casserons, les couteaux. Le cormoran qui se sèche les ailes au bout d’un piquet reste un instant de poésie à leurs offrir. Les mouettes sur le banc de sable qui s’envolent quand ils courent me réjouit un tantinet mais les souvenirs de mon enfance sont comme un coucher de soleil en hiver ou les mauves remplacent l’azur pour annoncer l’arrivée de l’obscurité. J’aurais voulu tellement leurs transmettre cette poésie. Hélas, elle est en moi mais je ne peux pas la donner. L’enfance doit être poésie. La pureté d’une émotion rend plus fort pour être capable de reconnaître le laid.